Interview d'Isabelle MARTIN, Directrice Générale des Services de la communauté de communes du Vexin-Thelle (37 communes – 20 300 habitants)
Quel est votre parcours professionnel ?
Diplômée d'un master de droit, j'ai d'abord débuté ma carrière professionnelle dans le privé. Dans un premier temps, j'ai occupé les fonctions de responsable de l'administration des ventes pour le groupe Mazda (véhicules automobiles), ensuite j'ai été responsable des conseils d'administration à la direction générale d'un groupement de réassureurs le Groupe UNI Mutualité qui réunit plusieurs mutuelles (Macif, Mgen, etc…).
Puis, j'ai profité d'un plan social pour faire un break et me consacrer à ma vie personnelle - En effet, après avoir mis au monde mon 2ème enfant, j'avais décidé d'arrêter de travailler pour les élever. Bien qu'épanouissante, cette nouvelle vie de femme au foyer aura duré 3 mois ! Ceux qui me connaissent savent bien que c'était un vœu pieux ; J'adore mes enfants, mais je ne peux vivre sans lien social et professionnel, c'est la condition sine qua non à mon épanouissement.
Je suis arrivée totalement par hasard dans le Fonction Publique Territoriale sur mon territoire actuel en répondant à une annonce de Pôle emploi en 1997. Chargée de mission puis directrice Administration générale et FRAP, j'ai passé le concours de rédacteur puis d'attachée au gré de mon évolution de carrière.
Depuis 2001, je suis DGS et après avoir connu trois présidents successifs, je suis toujours aussi passionnée par mon métier. Avec mon président, nous formons un véritable binôme et j'ai à cœur de donner du sens aux missions de mes agents en leur proposant de s'inscrire dans des projets intéressants et ambitieux. Le dernier en date est la définition de notre CRTE que je vois comme une opportunité pour nos élus et nos équipes de prendre de la hauteur et de dessiner les contours de notre territoire pour années à venir.
Quelle expérience souhaitez-vous partager avec vos pairs ?
Je ne parlerai pas d'expérience mais d'un constat qui m'a particulièrement marquée lorsque je suis passée du secteur privé au secteur public. Dans la territoriale, comme dans d'autres fonctions publiques, nous connaissons cette faculté que nous avons à nous adapter à des changements réguliers qui font que nous fabriquons, nous dé-fabriquons, nous faisons, et le lendemain nous ne faisons plus.
Pour exemple, lorsque la loi sur la prise de compétence eau et assainissement est votée, elle contient une possibilité de report à 2026. Pour le PLUI, il existe une opportunité de blocage pour le refuser… Cela s'appelle la démocratie, c'est souvent complexe mais cela fait partie de notre métier et il faut la respecter.
Pour autant, comment mettre en place les évolutions nécessaires, parfois indispensables lorsque tout une panoplie d'outils existent pour les éviter en favorisant le statut quo ? C'est étrange, c'est quelque chose que je n'avais pas du tout appréhendé ayant fait mes premières armes dans le secteur privé.
Qu'est-ce que la crise sanitaire a changé dans l'exercice de votre métier ?
Les confinements et les déconfinements puis les re-confinements ont favorisé l'expérimentation de nouvelles pratiques professionnelles et notamment le télétravail et la visio-conférence. Nous avons dû nous adapter rapidement pour faire face à l'urgence. Il a fallu apprendre à travailler à distance ; ce qui n'était pas la règle dans la fonction publique territoriale. Nous avons dû changer notre mode de management.
La période a été et est toujours très anxiogène pour nos agents quelque soit leur catégorie. Il a fallu garder le lien sans présence sur site pour la plupart. Le modèle organisationnel classique s'est transformé et un nouveau mode de leadership à distance a vu le jour. Dans un premier temps, j'ai accusé le coup d'une transition qui m'a semblée forcée, mais je trouve que cette nouvelle méthodologie de travail permet une plus grande flexibilité quand elle n'est pas subie et qu'elle ne déborde pas sur la vie privée.
Étonnamment, cette modernisation organisationnelle oblige à plus de collectif, plus de partage, plus d'empathie, par conséquent, à plus de dialogue et de sérénité car les décisions sont partagées. Cet éloignement nous oblige à partager davantage pour ne pas isoler, et cette communication imposée est une chance pour les managers que nous sommes.
S'il fallait tirer le positif de la Covid19, je le situe dans la réintroduction de l'humain comme création de valeur. Nous revenons donc à l'essentiel. Seuls me manquent les moments informels du quotidien professionnel qui nous permettaient la convivialité, mais je ne doute pas que nous y reviendrons ; c'est la limite du télétravail.
À qui, à quoi ressemblera le/la dirigeant(e) de demain ?
Pour ce que j'en pense, le / la dirigeant(e) de demain devra avoir à cœur de prendre soin de ses agents car la période actuelle nous a prouvé qu'il faut remettre l'humain au cœur de de la collectivité. Il est le facteur d'efficacité essentiel, en reléguant au second plan les indicateurs de performance qui concentraient beaucoup de notre temps alors que nous avons tant d'outils pour ces tâches plus rébarbatives.
Le / la dirigeant(e) de demain devra être celle ou celui qui garde cette soif d'apprendre et de partager car nos organisations sont et seront encore et toujours, en perpétuelle évolutions. Le mot d'ordre : s'adapter en passant toutes les politiques publiques au prisme de la vision écologique.
Pour compléter cette vision, il ne faut pas oublier de donner du sens à ce que l'on met en œuvre. Pour moi, être patron c'est aussi et surtout avoir une vision claire pour emmener ses équipes et créer les conditions de la motivation et du bien-être de ses agents.
Enfin, j'appelle de mes vœux des comités de directions générales plus féminins. J'espère que dans quelques années, nous compterons plus de femmes dirigeantes dans nos territoires, non pas parce qu'il y a des règles de parité ou de quotas mais tout simplement parce que les femmes le méritent et qu'elles en ont les capacités, au même titre que les hommes.
[31/03/2021]