Interview de François Montezin, DGS de la communauté de communes des 4B Sud Charente (40 communes, 20 000 habitants)
Quel est votre parcours professionnel ?
Pour commencer, j'ai suivi des études universitaires à la Faculté des sciences sociales de Toulouse 1. Dans le cadre de celles-ci, j'ai pu apprécier ma sensibilité pour les services publics locaux et plus particulièrement pour le développement local avec pour levier l'intercommunalité. J'ai donc préparé une maîtrise d'administration économique et sociale avec pour principales options droit des collectivités territoriales et finances locales. Parcours universitaire que j'ai achevé en 2001 par un D.E.S.S en administration et en gestion des collectivités locales.
J'ai donc débuté ma carrière professionnelle comme chargé de mission de développement local à la Communauté de Communes de Labastide Murat. C'était une intercommunalité naissante de 2 700 habitants située en plein cœur du Parc Naturel Régional des Causses du Quercy dans le département du LOT. J'ai créé en totalité avec les élus cette communauté rurale. J'étais chargé de mission de développement local. Outre les nombreux projets que j'ai initié (bâtiment relais, relais assistante maternelle, zone d'activités économique, agenda 21 en partenariat avec le PNR, transfert de la totalité de la voirie communale), j'ai appris mon métier avec les secrétaires de mairie et la comptable public. Grâce à elles, je suis devenu un gestionnaire administratif et financier aguerri en plus de mon appétence naturelle pour porter des projets innovants de développement local.
Au bout de trois ans, j'ai été recruté par la Communauté de Communes du Sud Corrézien et le Syndicat Intercommunal d'équipement de la Région de Beaulieu-sur-Dordogne. J'y ai occupé durant 11 années les fonctions de directeur des deux structures.
Au cours du bing bang territorial issu de la loi NOTRe, j'ai fait le choix de la mobilité professionnelle en saisissant l'opportunité de prendre la direction générale des services de la Communauté de Communes des 4B, intercommunalité rurale totalisant un peu plus de 20 000 habitants et regroupant 40 communes. C'est une communauté hybride puisqu'elle exerce de nombreuses compétences avec des hauts niveaux de services publics à la population avec la totalité de la compétence scolaire et celle de l'enfance-jeunesse si bien que l'investissement repose sur une vision prospective de l'entretien des 40 bâtiments (23 écoles, un château avec un théâtre, deux piscines, deux gymnases…). Recruté en 2017 pour poursuivre la politique préalablement définie par les élus, nous avons optimisé les dépenses de fonctionnement et conduit une véritable stratégie territoriale reposant sur la transformation de celui-ci en un territoire à énergie positive. C'est ainsi que nous allons inaugurer à la rentrée scolaire le premier bâtiment à haute qualité environnementale de la charente puisqu'il atteint les performances maximales E4C2 (énergie 4, carbone 2).
Passé la réorganisation des services, nous avons entrepris avec le président de refonder le couple communes et communauté de communes en essayant de dépasser un raisonnement clivant fondé sur des compétences statutaires pour aller vers la mise en œuvre de politiques publiques issues du bloc local.
Quel projet ou expérience vous a particulièrement marqué au cours de votre carrière ?
L'expérience professionnelle qui m'a particulièrement marquée est celle que j'ai accomplie à Beaulieu-sur-Dordogne car je dirigeai à la fois une intercommunalité à laquelle était adossé un syndicat mixte fermé. Ce poste m'a permis de travailler sur une large palette de compétences allant de l'aménagement du territoire au développement économique et touristique, en passant par l'action sociale (service de gérontologie, service de soins infirmiers et d'aides aux domiciles des personnes âgées), les équipements et les réseaux (tourisme, voiries, électrification rurale, eau potable et assainissements). J'en ai surtout retenu que lorsqu'un syndicat préexistait avant la constitution d'une communauté de communes, la création de celle-ci était facilitée car elle reposait sur une culture syndicale favorisant l'esprit communautaire.
Durant cette période, j'étais devenu un véritable directeur opérationnel c'est-à-dire aussi bien directeur administratif qu'ingénieur (en tout cas ingénieux). Dans les intercommunalités rurales, on a souvent plus de besoins financiers que de moyens si bien qu'il faut constamment être innovant. C'est durant cette période, que j'ai dû avec le Président d'alors conseiller l'exécutif sur le devenir d'un vieux village de vacances VVF et d'une piscine publique. Nous venions de refaire complètement les centaines de mètre carré d'un magnifique bassin d'été à la suite d'une procédure vieille de 15 ans que nous avions remporté au tribunal administratif. Le challenge était de savoir comment conserver un bassin d'été exceptionnel en milieu rural géré en régie publique. Le village de vacances se situait juste à côté, il était moribond comme la piscine. Les deux équipements appartenaient historiquement au syndicat mixte. Ils étaient tous les deux situés en bordure de Dordogne sur un véritable spot touristique. L'équipement était géré dans un flou artistique par VVF depuis des années. J'ai proposé au Président de réfléchir à toutes les opportunités qui s'offraient. Le plus simple aurait été de le fermer puisqu'il était situé en bordure de rivière. Aussi comme souvent, nous avons décidé de faire des faiblesses qui étaient les nôtres des opportunités en lançant d'abord une étude économique pour connaître le seuil de pax qu'il fallait atteindre pour rendre le village de vacances viable. A la suite de celle-ci le syndicat a décidé de lancer une procédure de Délégation de service public pour retenir un professionnel du tourisme rural. Parallèlement nous avons lancé l'ensemble des études techniques pour respecter les contraintes d'inondations, nous avons décidé de réaliser une extension du site en créant un des tous premiers villages de vacances dans les arbres de France passant de 200 pax à 380 pax. Le permis de construire nous a été accordé par les services de l'Etat car nous avions travaillé avec eux dès le départ et avant la mise en place du PPRI (plan de prévention du risque inondation) de la vallée de la Dordogne Corrézienne en tenant compte de toutes les contraintes du site. La plus forte était le vent et non pas l'eau comme on aurait pu le penser. L'équipe mutualisée très resserrée de la communauté et du syndicat a porté à la fois la rénovation du village de vacances historique (40 hébergements) et l'extension dans les arbres de 200 lits en déposant les dossiers financiers dans deux préfectures de Région différentes pour financer pour partie avec les fonds européens ce projet de plus de 7 millions d'euros subventionné à plus de 70 %. Il a nécessité la mobilisation de tous les élus, de tous les agents, du délégataire et de l'ensemble des entreprises pour réussir ce magnifique projet. L'audace a été d'adosser la gestion de la piscine publique au village de vacances en développant une forme innovante de partenariat public-privé. L'apprentissage de la natation aux enfants scolarisés sur le territoire a pu se poursuivre grâce à une indemnité d'éviction (contrepartie de gestion de service public) versée par le syndicat au délégataire.
Quels sont les grands chantiers qui vous occupent aujourd'hui ?
Comme je vous l'ai dit, la communauté de communes s'est inscrite depuis 5 ans déjà dans le sens de l'histoire en refondant totalement ses politiques publiques en les inscrivant systématiquement dans la transition énergétique. Grâce à la labellisation TEPOS nous avons bénéficié de financements conséquents qui nous ont permis de réaliser des audits énergétiques de la quasi-totalité de notre patrimoine et de le transformer progressivement en des bâtiments plus vertueux. Actuellement, nous avons été dès 2020 parmi les premiers lauréats du plan France Relance en Nouvelle Aquitaine pour réhabiliter énergétiquement six bâtiments publics. Notre force réside dans le fait d'être accompagné en amont par une agence de l'Etat l'ADEME, la Région Nouvelle Aquitaine, pendant les travaux par l'Etat mais aussi la région avec les fonds FEDER réservés aux bâtiments HQE et après avec la banque des territoires. Le fait d'atteindre des valeurs cibles supérieurs à 30 % d'économies d'énergie permet d'émarger au fonds de la banque européenne d'investissement de la banque des territoires. Finalement, l'Etat nous accompagne avant, pendant et après. La soutenabilité des chantiers nécessite de plus en plus de raisonner par politiques publiques au sein du bloc local.
Parallèlement aux grands travaux que nous menons (5.4 millions d'euros en 3 ans), nous nous appuyons sur les apports de la loi engagement et proximité du 27 décembre 2019 pour refonder la gouvernance locale grâce à la conférence des maires. Pour ce faire, nous avons engagé un diagnostic des ressources territoriales de tout le bloc local (communes et communauté) pour arriver à faire à terme un pacte financier et fiscal fondé sur une optimisation fiscale maximum et un partage de la richesse. Ce pacte ne pourra pas aboutir sans faire émerger progressivement un nouveau modèle d'action publique locale reposant sur l'exercice de politiques publiques et de valeurs partagées au sein de la gouvernance. L'idée est d'assurer la transition d'une gestion segmentée entre strates par compétences à une gestion par politiques publiques à l'échelle du bloc local. Le but serait à terme de faire de cette conférence une sorte de sénat « communal » car celle-ci émet des avis qui doivent être adressés à l'ensemble des conseillers municipaux des communes membres de l'E.P.C. I ou mis à leur disposition pour information. En effet, la loi « engagement et proximité » renforce l'information des élus non-membres de l'organe délibérant notamment l'article L. 5211-40-2 du C.G.C.T impose de transmettre les avis émis par la conférence des maires, lorsque celle-ci existe, à l'ensemble des conseillers municipaux des communes membres de l'E.P.C. I, que ceux-ci soient ou non conseillers communautaires.
Chacune de nos actions est ponctuée par un temps de formation spécifique de nos 40 maires ou de leur représentant.
Selon vous, à quoi ressembleront les DG de demain ?
C'est toujours difficile de se projeter. En dix ans nous avons connu une crise financière qui a affaibli durablement notre industrie. Cela s'est matérialisé durant la crise sanitaire. Face à nous une crise géopolitique avec probablement la fin de la mondialisation telle que nous l'avons vécu. Aussi, je ne peux que constater que les crises sont des accélérateurs du changement (augmentation de la dématérialisation, avènement de nouvelles formes de travail, changement générationnel) si bien que je crois que le DGS d'aujourd'hui est de plus en plus un manager des managers d'un côté et un manager des organisations de l'autre. Il doit être à l'écoute des deux.
Je ne sais pas ce que ce sera le DGS de demain en tout cas il y a une constante qui demeura à mon sens, c'est un homme ou une femme qui doit constamment faire le pont entre la gouvernance politique et la gouvernance administrative en parlant à deux catégories de personnes : fonctionnaires et élus qui concourent tous ensemble à produire des services publics locaux peu importe le millefeuille territorial à tous nos concitoyens sans exception et quel que soit le territoire.
Pour terminer, je dirais que DGS d'intercommunalité, c'est assez spécifique, si bien que nous devons ne jamais oublier que nous sommes avant tout, selon moi, au service des communes.
[27/04/2022]