"En toute circonstance, il faut être attentif au sens donné et aux objectifs à atteindre"
Interview de Laurent Sémavoine, DGS de la communauté d'agglomération Dracénoise (CAD) – 19 communes (bientôt 24) - 108.170 habitants.
ADGCF : Dans notre étude « le DGS de communauté » ressort une typologie de profils qui font la spécificité de la fonction. Vous y reconnaissez-vous ?
Laurent Sémavoine : L'étude reprenant les situations et arguments exposés à l'occasion des différents entretiens de notre association avec les DG, je trouve qu'elle reflète bien ce à quoi nous sommes confrontés chaque jour, qu'il s'agisse des actions courantes ou des postures plus stratégiques.
En ce sens, comment vous situez vous ?
Je m'y retrouve assez bien s'agissant des différents aspects de notre métier et des situations que nous rencontrons en permanence ou en urgence.
Question profil et venant à l'origine du privé, je suis missionné depuis une vingtaine d'années pour élaborer et conduire en DG des projets de modernisation des institutions publiques mais aussi de développement des territoires.
Cela doit donc concilier des forces en présence qui ne sont pas forcément « naturellement » compatibles, telles que les procédures administratives et l'innovation, l'obligation de moyens mais aussi désormais celle de résultat, le respect du statut et la nécessité d'expérimentation, la permanence d'agents régis par le caractère immuable de la FP et la confrontation à la mobilité, dans tous les sens du terme.
A l'heure de l'optimisation, de la mutualisation et de la performance, on voit bien qu'il faut faire autrement, en s'adaptant tout en maintenant les fondamentaux.
Il faut donc méthode et détermination, et savoir s'accorder le temps indispensable pour y parvenir, tous ensemble !
Comment faites-vous ?
Je m'efforce d'énoncer clairement. Je mets en discussion avant arbitrage et mise en œuvre. J'accompagne et nous évaluons.
Enfin, je rends compte à l'exécutif et prépare les éléments d'information à la population. Tout cela dans les règles de l'art, mais de manière déterminée et programmée.
Quoiqu'il arrive, il ne faut pas perdre de vue ces principes et miser sur les valeurs fondamentales, savoir les confronter à la réalité, s'adapter ou y revenir, sans rien lâcher sur l'essentiel mais en sachant prendre la mesure et la distance que les situations imposent.
En toute circonstance, il faut être attentif au sens donné et aux objectifs à atteindre.
C'est un exercice quotidien. Pour y parvenir, nous avons par exemple mis en place au sein de notre institution, des espaces de concertation et de « co-construction » entre les élus, les agents, les représentants syndicaux (dynamique du dialogue social), en constituant des groupes de travail sur les risques psycho-sociaux, le régime indemnitaire, la performance publique mais aussi l'actualisation de nos règlements d'intervention, le recentrage sur nos compétences etc. Cela porte ses fruits en matière de dynamique de propositions, d'aide à la décision et de confortation du sentiment de participation et d'adhésion.
Cette démarche est certes une méthode de travail, mais dans une approche relationnelle volontaire et collaborative.
A vous entendre, on perçoit que vous appliquez des méthodes acquises, peut-être, dans un autre registre que celui de la seule fonction publique.
Quelles sont les principales étapes de votre parcours ?
Après mon service militaire, prolongé d'une période opérationnelle d'officier dans l'armée de l'air, j'ai été recruté aux Editions du Seuil à Paris puis responsable du développement au Syndicat National de l'Édition.
J'ai mis à profit cette période pour suivre durant 10 ans un cursus universitaire interdisciplinaire (études politiques, relations internationales et géopolitique, Diplomatie et stratégie, journalisme), complétée par des séminaires de dirigeant - manageur.
Ensuite, et au fur et à mesure des opportunités et de sélections en cabinet de recrutement, j'ai été nommé ingénieur conseil puis DG d'un groupe de développement européen d'informatique, puis j'ai intégré la sphère publique en qualité de directeur des affaires culturelles et des relations internationales à Reims et Epernay (en partenariat avec l'Unesco et le CNRS), puis DGA de l'importante unité culture à Nancy, DGS de la ville de Nouméa, Secrétaire Général du Conseil Départemental des Pyrénées Atlantiques et enfin DGS à la CAD depuis 2013.
Toutes ces fonctions ont été ponctuées de missions d'enseignement universitaire, de coopération régionale et de diplomatie, de stratégie et de développement.
Plus précisément ?
Aux côtés de Bernard Stasi, maire d'Épernay, député, ancien ministre et médiateur de la république, je suis intervenu sur des problématiques nationales et européennes de coopération, en pleine période d'intégration de l'Union qui ouvrait de formidables perspectives et espoirs de développement et de prospérité partagés…
J'ai fait quelques missions à l'ONU (New York et Bangkok), en Europe, en Afrique de l'Ouest, en Israël et dans le Pacifique.
Cela était souvent intimement lié à mes fonctions de DG dans les différents territoires ou en lien avec mes enseignements à l'université (coopération, multimédia et intelligence économique, histoire contemporaine et Mondialisation, politiques publiques et stratégie de territoire…).
Au niveau territorial, vous avez une expérience de DG au plan national et outre-mer.
A Nouméa (agglo de 140 000 habitants, Nouvelle Calédonie), j'ai occupé mon premier poste de DGS en janvier 2002, avec pour priorité la modernisation de l'institution, les schémas d'aménagement urbain (transports et mobilités, habitat, assainissement, hygiène et sécurité, service public de proximité etc), le développement du projet de ville / agglo et la mission de préfiguration pour la création de l'intercommunalité. Une très belle expérience, dense et riche sur toutes les problématiques d'aménagement et d'animation d'un territoire en pleine construction et en réforme permanente, avec des enjeux locaux et régionaux très forts…On disait souvent qu'il fallait prendre les « chemins coutumiers » pour comprendre, connaître et se faire reconnaître.
J'ai ensuite été chargé de la coopération régionale dans le Pacifique par le gouvernement calédonien avant de revenir en métropole, au Département des Pyrénées Atlantiques (vie institutionnelle, évaluation des politiques publiques, SDAN et SIG), puis aujourd'hui dans le Var, à la communauté d'agglomération dracénoise où ces mêmes problématiques et enjeux s'expriment, mais de manière différente. On est là dans des logiques d'intégration territoriale de haute intensité, ce qui est complexe mais passionnant.
Quel projet professionnel a été particulièrement marquant ?
Il n'y a pas un projet plus particulièrement, mais plutôt une mosaïque de projets avec la même volonté d'aménagement et de développement territorial, de stratégie, d'animation, d'évaluation et de capacité à s'adapter dans un mode complexe, fluctuant, aux intérêts et tensions multiples..
Pour moi, le rôle du DG est de bien s'accorder avec son environnement, de répondre à l'attente des élus et particulièrement à celle du Président, d'assurer la dynamique du projet de territoire, d'accompagnement, de réalisation et de portage, indispensables à la mise en place des politiques publiques et à l'atteinte des objectifs de la mandature.
Arbitre, initiateur, il faut aussi (tout le temps) être conciliateur, car bien souvent le rôle d'un DG consiste, à l'épreuve des faits, à gérer les problèmes et les urgences qui nous assaillent de toute part, ceci sans s'écarter de nos fondamentaux !
Il est important de gérer le quotidien, mais il est primordial d'accompagner la décision, de diffuser l'information, de corriger le tir pour que les tensions ne fragilisent pas trop la structure et que l'équilibre « décideur - modérateur » soit trouvé, tant auprès des élus, qu'avec les agents, les partenaires ou le public.
Je prends l'exemple du PPI. Ici à la CAD, nous l'avons élaboré ensemble avec le président et tous les maires, Vice-présidents. Lors d'un séminaire, nous avons fixé le cap, déterminé nos fondamentaux et objectifs, afin d'établir une feuille de route à décliner sur la mandature en créant de la cohérence, du sens et en y consacrant les moyens pour y parvenir. C'est un exercice compliqué, qui procède de choix et de décisions en milieu fluctuant et incertain.
Quel est votre dossier d'actualité ?
Nous rédigeons actuellement notre projet de territoire. Les volets SCOT et le PPI se finalisent. Toutes ces orientations et ces actions doivent être mises en perspective car après la réflexion et la stratégie, vient le temps de la mise en œuvre. Ce qui n'est pas l'étape la plus aisée ! Évidemment, et comme pour la majorité de mes collègues, le SDCI est un sujet majeur de notre actualité intercommunale. Avec l'arrivée dans notre agglomération de 4 nouvelles communes des Gorges du Verdon, nous allons élargir notre périmètre d'intervention et de mise en œuvre des compétences communautaires, prendre en compte la continuité territoriale, la ruralité de ces zones de montagnes et de sites remarquables, poursuivre notre stratégie touristique afin d'améliorer l'attractivité du territoire dans toutes ses composantes.
A ce sujet, le développement équilibré du territoire et la solidarité entre nos communes membres sont des enjeux majeurs. Dans ce cadre, nous avons élaboré une sorte de pacte financier et fiscal, avec un objectif clair : recherche de l'équilibre et de la cohérence du développement ; prise en compte des spécificités de notre intercommunalité mi-urbaine, mi-rurale ; apporter une aide complémentaire de solidarité entre l'interco et les communes (DSC et Fonds de concours) et enfin, accentuer notre capacité d'investissement (+ 20% alors que la moyenne nationale est en baisse de plus de 25%) pour l'aménagent dynamique du territoire, mais aussi pour soutenir l'économie locale par la commande publique et le développement des infrastructures nécessaires à l'activité et aux services.
Qu'est-ce que vous apporte l'association ? Quelles perspectives en région PACA ?
Les DGS de communautés ont des difficultés identiques et sont confrontés aux mêmes enjeux. Par conséquent, se réunir sereinement, aborder ensemble des thématiques avec méthode, et prendre ainsi du recul est intéressant et rassurant. Cette prise de hauteur nous permet de se parler clairement entre DG car nous avons tous les mêmes rapports avec les élus, les équipes, les habitants…et les partenaires dans le cadre des politiques contractualisées.
J'attache une importance particulière aux retours d'expériences locales et à la valorisation de nos spécificités au plan régional.
En qualité de nouveau délégué régional de l'ADGCF, notre priorité cette année sera de structurer notre délégation afin de favoriser le dialogue intercommunalités-région avec pour objectif le développement de nos territoires, dans un contexte de réforme et de contraintes sévères.
La question des compétences et de leur expression est primordiale.
En tant qu'interlocuteurs privilégiés, nous traiterons des orientations du SRDEII, s'agissant du maintien et du développement des activités économiques, de l'égalité des territoires et professionnelle, de l'exercice de nos compétences Interco « dans le respect des orientations du SRDEII » et donc de la nécessaire concertation prévue dans le cadre de la loi à cet effet, pour un véritable dialogue bilatéral entre les deux niveaux institutionnels confortés (et non confrontés) par la Loi NOTRe dans leurs prérogatives économiques.
Le conventionnement est une voie privilégiée d'échanges et de partenariat entre la Région et les EPCI, sur la base de stratégies économiques connues, territorialisées et à l'échelle des bassins d'emplois (quels diagnostics socio-économiques locaux par bassin ?). La Région le souhaite. Les interco le veulent.
Enfin, l'ingénierie du développement local est un sujet « levier » déterminant dans nos territoires et fera donc l'objet d'échanges suivis à ce sujet.
On a pu entendre ou craindre que les Régions appelées à de lourdes structurations territoriales ne seraient pas, finalement, suffisamment en phase opérationnelles avec les EPCI, qui participent pourtant à l'équilibre et à la dynamique de tous nos territoires urbains et ruraux. On pourrait craindre que la Région dicte plutôt qu'elle ne concerte (ceci a été entendu durant certains ateliers SRDEII : « on vous explique, mais c'est nous qui décidons… »).
En étant des interlocuteurs actifs à la table des réunions et autres Comités, mais aussi de vrais partenaires, gageons que nous saurons en réalité tous ensemble relever complémentairement les défis des politiques publiques, d'aménagement, économiques et d'emploi, d'innovation, de mobilité, de formation et d'intégration territoriale, dans notre pays, au sein de nos régions et au cœur de tous nos territoires intercommunaux.
[27/07/2016]