Interview de Philippe Allain, DGS de Cap Atlantique (15 communes – 73 600 habitants sur 2 départements et 2 régions)
Quel est votre parcours professionnel ?
J'ai un profil quelque peu atypique ayant fait mes études dans une école d'ingénieur des travaux publics de l'État. Mon premier poste était donc tout naturellement en DDE à Versailles. J'étais en charge de l'assainissement et de l'éclairage public mais après 3 ans j'ai eu besoin de changement et j'ai intégré l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse chargé de mission « réseaux d'assainissement » puis responsable Assainissement des grandes agglomérations du bassin. À ce titre, j'avais un rôle de conseil technique et financier auprès des intercommunalités. Après 7 belles années, j'ai quitté l'agence pour devenir directeur du syndicat mixte de Villefranche-sur-Sôane et de la SEM de distribution de chaleur associée.
Ensuite, on m'a proposé le poste de directeur adjoint dans un syndicat de La Baule en 1995. Le président d'alors, Olivier Guichard, avait hérité d'une situation explosive. En effet, le syndicat avait été extrêmement mal géré par son directeur qui avait notamment émis des faux en écriture publics et été condamné à purger 8 années de prison. Olivier Guichard avait alors demandé au Ministère de l'équipement de l'époque de trouver un spécialiste sur les sujets d'eau, d'assainissement et de déchets. J'ai rejoint ce SIVOM « à la carte » en qualité de directeur technique avec une certaine appréhension juste avant les municipales et j'avais bien raison car dès mon arrivée, le nouveau directeur a démissionné devant l'ampleur de la charge. Me voilà donc propulsé directeur d'une structure complétement sclérosée. La première étape fut de comprendre la situation du syndicat intercommunal de la Côte d'Amour et de la presqu'île guérandaise puis de l'assainir puisqu'à chaque dossier, il y avait un problème. J'ai été en charge de la mise en place d'un plan de redressement très compliqué dans un contexte politique délétère. Les rapports étaient très bons avec le nouveau président mais tous les élus étaient en alerte permanente concernant toutes nos actions, il y avait un traumatisme dû à la précédente mandature au niveau local. Des événements dramatiques sont venus compléter cette situation tendue avec la marée noire de 1999, dont tout le monde se souvient, et l'attentat qui a coûté la vie de mon collaborateur Jacques Leparoux le 24 novembre 2000 au SICAPG. La douleur et l'incompréhension face à cette tragédie ont marqué une période très compliquée pour moi d'un point de vue professionnel et personnel.
Début 2002, le maire de La Baule, Yves Métaireau, a la volonté de créer une communauté d'agglomération et je lui propose de me mettre une année en retrait du SICAPG pour l'accompagner. C'est ainsi que la grande aventure de Cap Atlantique a commencé. J'ai participé à sa création autour de 2 SIVOM, une communauté de communes et des services communaux. À l'époque, nous avions pris toutes les compétences prévues par loi avec une petite spécificité puisque nous avions également créé une compétence supplémentaire qui ressemble très fort à la GEMAPI d'aujourd'hui, sans le « PI ». Je crois pouvoir dire aujourd'hui que c'est une réussite.
Quelle expérience souhaitez-vous partager avec vos pairs ?
L'arbre des objectifs ! C'est une méthode de management qui nous vient du privé, l'idée a été de segmenter toutes les politiques publiques. Sur chacune, on a compilé tous les objectifs qui existaient en les raccrochant aux objectifs du SCOT, le tout rattaché à un système de leviers d'actions (les projets et missions) et d'indicateurs. Pour finir, chaque domaine est associé à son coût complet et au nombre de personnels affectés, ce qui permet aux élus d'avoir un tableau de bord très simple et lisible.
Puis nous les avons traduits dans le rapport annuel d'activité et de développement durable (nous fusionnons ces deux obligations ainsi que le suivi de la mutualisation en un seul document). Ce qui est appréciable dans ce procédé est que c'est une démarche globale, les nouveaux élus vont d'ailleurs bâtir leur projet de territoire à partir de cet outil.
Pour aller plus loin, voici ce que cela donne : Rapport d'activités & de Développement durable et état de la mutualisation 2019 - Cap Atlantique (cap-atlantique.fr)
Comment avez-vous vécu la crise sanitaire ?
Dans cet arbre des objectifs, on retrouve également des « pistes de réflexion envisageables » par domaine. Afin de les produire, nous avions programmé un séminaire avec 50 cadres 8 jours avant le 1er confinement. Il n'était bien évidemment pas question de le maintenir en présentiel au vu du contexte. Cet exercice de séminaire chacun dans son bureau, en sous-groupes et plénière a constitué le point de départ de la mise en place du télétravail dans la communauté et ça a tout de suite relativement bien marché malgré la pénurie d'ordinateurs portables sur le marché, le personnel s'est beaucoup investi, y compris avec son matériel personnel. Nous avons organisé des points quotidiens avec l'équipe de direction et des points réguliers avec les représentants du personnel. Nous avons eu beaucoup de demandes de dérogations (les agents souhaitant revenir au bureau) mais tout s'est bien passé dans l'ensemble. J'ai aussi continué à animer le réseau des DG du bloc local pour que l'information et la communication ne soient pas rompues.
En revanche, nous avons été très peu en contact avec les élus qui étaient accaparés par les problèmes qu'ils rencontraient dans leur commune. Cependant, concernant la gestion du personnel, j'ai toujours été en 1ère ligne donc nous avons continué les actions en cours. Dans le domaine économique, nous avons travaillé en collaboration avec la SPL tourisme pour référencer les entreprises ouvertes et nous nous sommes raccrochés aux dispositifs régionaux (Pays de la Loire et Bretagne) pour compléter leurs aides aux entreprises.
Nous avons également acheté des masques pour tous les habitants de l'agglo (enfants compris) avec le Conseil départemental.
L'enseignement principal est que la crise a ouvert le dialogue concernant le télétravail – mes collaborateurs du comité de direction étaient initialement plutôt réservés – mais nous avons tous compris que nous ne pouvions plus refuser le télétravail à des agents performants après cette expérience. L'enjeu aujourd'hui est de définir les règles pour permettre de mieux le déployer et l'encadrer car, bien sûr, cinq jours par semaine, c'est beaucoup trop pour un équilibre personnel et professionnel.
À qui, à quoi ressemblera le DG de demain ?
Pour moi, c'est un dirigeant qui se concentrera davantage sur ce qui est possible que sur les risques juridiques. On a aujourd'hui tendance à surestimer les barrières juridiques sans favoriser le côté pratique et l'audace. Il faut un équilibre nécessaire entre la prudence et la créativité. En ce sens, j'espère que la future loi 3D offrira des outils innovants et ambitieux pour mes chèr(e)s collègues.
Mais globalement, je ne pense pas que le DG de demain doive correspondre à un profil type et particulièrement de celui du DG qui ne serait qu'un animateur. Il doit apporter une plus-value personnelle autre que le simple management. Cette plus-value dépend de ses compétences, ses qualités humaines et professionnelles et doivent correspondre à son territoire, son histoire, sa taille, sa réalité géographique, aussi des forces et faiblesses de ses principaux collaborateurs… Ce qui est certain, c'est que le DG de demain conduira toutes ses politiques publiques au prisme de la transition écologique et le DG engagé que je suis s'en félicite !
[15/12/2020]