Interview de Philippe Dressayre, co-auteur de l'ouvrage « Marketing public - De la conception du service public à son évaluation »
« La pratique politique et les démarches de marketing trouvent un terrain de rencontre naturel qui pourrait bien constituer l'une des voies de résolution de la crise actuelle de la représentation politique. »
Quelle pertinence et quelle utilité du « marketing » pour le management des politiques et services publics territoriaux ?
Démontrer la pertinence et l'utilité du marketing pour l'action publique ne va pas complètement de soi ; c'est pourtant le projet du livre que je viens de publier en avril 2022 avec mon collègue, Albert Louppe[1], en mobilisant des apports conceptuels mais aussi des exemples d'expériences publiques et des points de méthode.
Force est en effet de reconnaître que le marketing demeure encore assez mal connu et fait souvent l'objet de perceptions erronées dans le monde public territorial. Il y est en effet fréquemment assimilé aux méthodes d'influence des prospects et clients qui seraient le propre des organisations marchandes ; une acception bien souvent relayée par des médias qui en font le levier des actions de « manipulation » par la publicité, la propagande et les tactiques de vente.
En rester à ces visions réductrices de ce qu'est le marketing serait prendre le risque de passer à côté des apports en concepts, méthodes et outils qui n'ont rien de spécifiquement « privés » mais peuvent venir renouveler de manière vertueuse et efficace les recherches d'une plus grande performance des politiques publiques et de l'offre de service public.
Bien définir et partager ce qu'est la fonction « marketing » est dès lors indispensable pour en apprécier la pertinence pour l'action publique locale et en mesurer l'utilité potentielle pour les managers stratégiques des collectivités territoriales.
Bien définir le marketing pour en comprendre la pertinence pour l'action publique
Dans les ouvrages de base du management des organisations, qu'elles soient ou non marchandes, quatre fonctions de gestion sont identifiées : la gestion des finances, la gestion des ressources humaines, la gestion de la production et la gestion de la relation à l'environnement. L'enjeu d'un management efficace étant la bonne articulation entre ces fonctions, la vocation spécifique de la fonction de relation à l'environnement est justement de « tirer » l'ensemble de l'organisation vers le « marché » et les « clients », pour l'entreprise, vers le territoire et les publics, pour une organisation publique. Cette gestion de la relation à l'environnement, c'est la fonction « marketing » que l'Académie Française des Sciences Commerciales définit comme « le système de pensée… d'une entreprise, d'un organisme ou d'une personne qui s'impose de concevoir sa politique, sa planification, ses activités, ses décisions, dans la voie du progrès, en tenant compte impérativement des attentes et des besoins des destinataires de ses biens ou de ses services »[2].
Comme le suggère cette définition, le marketing :
L'utilité du marketing pour les managers stratégiques territoriaux
De manière plus ou moins déterminée, avec des réussites mais aussi des difficultés, un pilotage plus stratégique des politiques publiques commence à émerger depuis plusieurs années dans les collectivités territoriales. Ce qui est commun à ces initiatives réside bien dans l'idée que c'est en connaissant son environnement et les attentes des publics que l'organisation publique pourra réaliser au mieux ses ambitions de résolution des problèmes de société.
Dans cette perspective, l'écoute sociétale et l'association des acteurs sociaux et économiques n'ont rien de gadgets accessoires d'une pseudo-démocratisation de la vie publique ; elles sont, au contraire, des dimensions essentielles de l'élaboration de stratégies :
Entre le champ de cette écoute stratégique, responsabilité des managers publics, et celui de la relation élu/citoyen existent évidemment de nombreuses zones de recoupement et de superposition. La pratique politique et les démarches de marketing trouvent ici un terrain de rencontre naturel, rencontre qui pourrait bien constituer l'une des voies de résolution de la crise actuelle de la représentation politique.
« Placer le public au cœur de l'action publique ». Voici un mot d'ordre auquel ne semble échapper aucun projet d'administration. Pourtant, le passage à l'acte ne s'impose pas toujours comme une évidence… La traduction dans les faits de tels engagements de méthode s'accompagne en effet d'exigences très lourdes car il s'agit de perdre l'habitude (la certitude ?) que l'administration « parle au nom des publics » pour, désormais, « agir avec eux » et, donc, recourir à une ingénierie de marketing encore peu maîtrisée.
Une telle refondation des modes de travail suppose de réunir au moins deux conditions de réussite : la professionnalisation des services autour de ce qui apparaît bien comme un nouveau métier et, bien sûr, un engagement pérenne des équipes de direction générale.
Mettre au cœur du pilotage des politiques publiques non pas « l'usager » (slogan politique et/ou corporatiste qui ne veut pas dire grand-chose) mais la valeur à produire en termes de changement sociétal ou de résolution de problèmes de société exige, à l'évidence, un nouveau « design » des politiques publiques : le marketing est la fonction de management de l'action qui apporte les repères de compréhension et les méthodes à cette fin.
[1] Albert LOUPPE, Philippe DRESSAYRE, Marketing public - De la conception du service public à son évaluation, Presses des Mines, 2022, 276 p.
[2] Le dictionnaire de l'Académie, academie-des-sciences-commerciales.org
[07/06/2022]