Directeur général de StratégiesLocales, Franck Valletoux analyse les principes qui sous-tendent l'élaboration des projets de territoire et sur leur nécessaire articulation avec les pactes financiers et fiscaux.
On parle de plus en plus de l'élaboration de projets de territoire au sein des intercommunalités. En quoi consiste réellement cette démarche ?
Un projet de territoire, c'est d'abord une réflexion politique partagée sur le devenir commun d'un territoire. Un travail fin de diagnostic doit permettre de dresser l'état des lieux des politiques publiques et de la couverture des besoins afin de permettre de projeter les développements futurs. La réflexion doit ensuite s'engager entre les élus et plus largement l'ensemble des acteurs du territoire pour valider les enjeux et définir les ambitions communes à moyen et long terme.
Pourquoi cette démarche, jusqu'ici facultative, devient-elle presque indispensable aujourd'hui ?
Il faut rappeler que l'essentiel des intercommunalités se sont constituées ces quinze dernières années, après la loi Chevènement de 1999. Outre leurs créations relativement récentes, elles ont pâti de deux grands travers. Le premier est que le sujet financier a trop souvent été prépondérant dans leur relation avec les communes. Dans les premières années, si les mécanismes financiers incitatif s prévus par la loi ont favorisé les émergences, ils ont aussi souvent relégué le projet politique au second plan. Le second travers a été que les conditions de leur mise en place n'a pas permis de développer un réel sentiment intercommunal… renforçant parfois un besoin de protéger des communes qui auraient été remises en cause… mais par qui ? Plus récemment, les réformes ont donné un poids politique très important aux intercommunalités : pouvoir de taux sur les ménages avec la suppression de la TP, regroupement des dernières communes isolées (qui ne l'étaient pas restées par hasard), transferts de compétences nouvelles, responsabilité de la répartition interne du FPIC, modification de l'élection des conseillers communautaires, demain le PLUI… on ne peut plus faire comme s'il y avait deux niveaux de collectivités indépendantes. L'interdépendance est devenue évidente et le poids politique de l'intercommunalité aussi. L'obligation d'élaborer des schémas de mutualisation des services renforce ce constat. Les nouvelles équipes élues ne pourront faire l'économie de se doter d'un vrai projet territorial partagé.
Certes, mais le fonctionnement entre les communes et leur intercommunalité n'est pas toujours évident, quelle est donc la bonne démarche pour mobiliser autour d'un projet de territoire ?
Les démarches doivent évidemment s'adapter à l'état d'avancement de la réflexion sur chaque territoire. Il y a toutefois un travers qu'il faut absolument dépasser ; celui qui consiste à centrer le débat uniquement autour des sujets financiers et fiscaux. Si la mesure des moyens financiers est indispensable dans la démarche, celle-ci doit intervenir pour valider la faisabilité du projet politique, et non comme un préalable à tout. Le projet de territoire ne doit pas se limiter à l'élaboration d'un plan pluriannuel d'investissement. Il est donc indispensable d'insuffler une démarche partagée et mobilisatrice sur le territoire. L'ensemble des acteurs concernés doit être partie prenante dans l'élaboration du projet. Sous la responsabilité de l'exécutif communautaire, il est primordial d'impliquer tous les élus communaux car le projet ne se limite pas à la communauté. À ce titre, les groupes de travail doivent réunir les élus, mais aussi les partenaires et satellites de l'EPCI (agence économique, conseil de développement, chambres consulaires, certaines associations…) comme les autres niveaux de collectivités et d'acteurs publics susceptibles d'être impliqués dans les projets…
Enfin, la pérennité du projet de territoire nécessite de définir une gouvernance en mode projet, validant la cohérence du projet, mesurant en permanence sa performance et rendant compte régulièrement de son état d'avancement à l'ensemble des protagonistes. Pour cela, un effort constant de communication doit être consenti au niveau territorial pour maintenir la mobilisation et le niveau d'information de l'ensemble des acteurs.
Faut-il accompagner cette démarche d'une remise en cause des pactes financiers et fiscaux ?
C'est indispensable, à condition qu'une réflexion politique ait préalablement été menée. En effet, le pacte financier et fiscal doit répondre à l'ambition d'un projet partagé pour le territoire pour que cette remise en cause soit acceptée par tous. Sans projet partagé, l'adhésion des communes sera difficile à obtenir. De plus, les pactes financiers (ou de solidarité territoriale) ont été établis sur des mécanismes qui ont totalement été modifiés. Le remplacement de la TP a changé la structure des ressources fiscales : nature de l'impôt, dynamique, type de contribuable, pouvoir de taux… La péréquation intercommunale pose la question de la nouvelle répartition des richesses ou de l'effort entre l'EPCI et ses communes membres. Et à partir de 2014, la baisse des concours financiers de l'État va impacter prioritairement le secteur communal, dans des proportions croissantes. On ne peut donc pas demander en permanence aux intercommunalités d'assumer plus de services et d'investissements, sans remettre en cause des relations financières basées sur des règles du jeu qui sont obsolètes. Une remise à plat des relations financières est donc indispensable, à condition qu'elle réponde à un projet partagé sur le territoire. Il n'est plus rare de constater qu'une communauté commence à connaître des tensions budgétaires, alors même que certaines de ses communes membres affichent une situation financière sur-équilibrée. Ceci s'explique souvent par une relation financière EPCI/communes membres très favorable à ces dernières, alors même que les attentes sont grandissantes au niveau intercommunal. Compte tenu des nouveaux indicateurs agrégés, si cette remise à plat n'est pas décidée au niveau local, les mesures nationales pénaliseront alors l'ensemble intercommunal… et c'est le territoire qui sera perdant !
Franck VALLETOUX
Directeur général de StratégiesLocales - membre de LA RÈGLE DE 3, groupement de compétences proposant une solution intégrée dédiée à l'élaboration de projets de territoire
www.lareglede3.com
[11/05/2014]