Sophie Lafon, docteure en science politique, prix de thèse du CNFPT 2018, analyse la construction métropolitaine à travers la « compétence » enseignement supérieur et recherche.
« La construction métropolitaine par l'intervention dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche »
En quoi la possibilité d'exercer la compétence en enseignement supérieur et recherche ouverte par la loi MAPTAM a-t-elle contribué à l'affirmation des métropoles dans le paysage politique local ?
D'abord pour clarifier : l'enseignement supérieur et la recherche sont toujours du ressort de l'État. Ce que l'on qualifie souvent aujourd'hui de « compétence enseignement supérieur et recherche » des métropoles n'en est pas une à proprement parler. La loi MAPTAM leur a toutefois ouvert une perspective d'intervention en leur permettant de mettre en place des programmes de soutien et d'aides aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche et aux programmes de recherche. Avec l'émergence des métropoles, je me suis concentrée sur la façon dont elles allaient se saisir de ce nouveau champ d'action, en m'interrogeant sur la construction de stratégies d'intervention métropolitaines en matière d'enseignement supérieur et de recherche et sur les logiques de coopération entre collectivités dans la production de l'action publique.
« Un levier de développement »
Certaines intercommunalités intervenaient dans ce domaine avant de devenir métropoles, tandis que d'autres ont profité de ce nouveau temps fort pour se saisir du sujet. Dans les deux cas, le travail de positionnement a en effet contribué à l'affirmation des métropoles dans le paysage politique local : l'enseignement supérieur et la recherche, perçus comme levier de développement, ont été intégrés aux travaux et réflexions menés autour de projets politiques nouveaux, contribuant ainsi à la construction d'une vision plus stratégique de leur territoire. Elles se sont positionnées aux côtés des Régions et communes qui avaient depuis longtemps investi ce champs d'action : les Régions, en tant que partenaires privilégiés de l'État sur ces questions dans les territoires, notamment via les CPER et au travers de politiques de soutien au développement économique et à l'innovation ; les communes, dans le cadre de politiques de proximité et d'accompagnement de la population étudiante. Cette évolution contribue à la consolidation de la place des métropoles dans des écosystèmes territoriaux aux acteurs multiples.
De quelle manière les métropoles se saisissent-elles de ce domaine ?
De manière générale, les métropoles avaient pris en compte les problématiques liées à l'enseignement supérieur et à la recherche avant la loi MAPTAM. Que ce soit dans le cadre de leurs compétences traditionnelles ou par d'autres biais, elles ont suivi un mouvement de demande des territoires à occuper une plus grande place auprès des établissements. La loi est donc venue confirmer la légitimité et l'intérêt d'une action déjà existante chez certaines intercommunalités, et encourager les autres à s'engager davantage dans cette voie. Elles ont également été sollicitées par les universités qui, au même moment, avec le renforcement de leur autonomie, étudiaient d'autres pistes de partenariats face à une réduction ou une incertitude des enveloppes budgétaires négociées auprès de l'État et des Régions. Les métropoles sont des acteurs particulièrement intéressants pour les universités, et souvent qualifiées de « partenaire naturel », puisque les territoires métropolitains concentrent la majorité des effectifs et des équipements universitaires.
« Alimenter une réflexion plus globale »
Depuis quelques années, les métropoles se dotent progressivement de documents cadres posant les termes de leur stratégie d'intervention en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Elles mènent un travail de positionnement et de réflexion sur le rôle qu'elles doivent jouer pour accompagner les établissements et en faire des leviers de développement territorial. Document propre à la métropole ou réalisé en commun avec une université, les ambitions et objectifs affichés (et de nouveaux investissements associés) ont contribué à concrétiser leur entrée dans un système d'acteurs existant. En menant ce travail, les acteurs métropolitains alimentent également une réflexion plus globale sur ce que sont les métropoles et les facteurs de développement du territoire dont elles disposent.
Comment se construit la consolidation du rôle des métropoles via l'action dans l'enseignement supérieur et de la recherche ?
Dans leurs démarches de définition d'une stratégie d'intervention, les métropoles ont mis en place de nouveaux lieux d'échange et de coordination entre acteurs, d'animation d'une communauté et de mise en cohérence de politiques territoriales. Conférence métropolitaine, comité consultatif, etc. différentes appellations sont apparues pour qualifier la création d'instances nouvelles destinées à ouvrir aux acteurs impliqués le travail de définition de ces stratégies métropolitaines. Par exemple, à Bordeaux, un Comité consultatif a ainsi réuni près de 80 acteurs concernés par les problématiques de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le territoire métropolitain. Pendant 5 mois, ils ont été invités à contribuer à l'élaboration de la stratégie de Bordeaux Métropole dans le but d'avoir une vision aussi large que possible sur le rôle qu'elle pourrait jouer.
« Un travail de positionnement stratégique »
Face au succès de ces démarches de consultation, ces lieux ont été pérennisés. Ils permettent d'établir des échanges et un partenariat sur la durée afin de coordonner les actions à différentes échelles territoriales et de faciliter la mise en œuvre des politiques publiques. Ils sont nourris de diagnostics partagés, de calendriers et d'outils communs (comme des Observatoires). De fait, avant même la mise en œuvre de politiques spécifiquement métropolitaines en matière d'enseignement supérieur et de recherche, c'est le travail de positionnement stratégique et l'organisation des échanges qui ont permis d'affirmer la place des métropoles. Et alors que l'État gouverne de plus en plus à distance l'enseignement supérieur et la recherche, les acteurs locaux s'organisent dans les territoires pour faire avancer un sujet qu'ils considèrent majeur pour leur développement.
[17/10/2018]