Claire Dagnogo, spécialiste du dialogue public-privé (cabinet Suricates Conseil) explique le rôle de « l'espace public économique » dans le développement du territoire.
« Le dialogue dans le domaine du Public-Privé via « l'espace public économique », un levier de développement du territoire »
Pourquoi est-il si important de créer des lieux de rencontres et d'échanges entre public et privé ?
Souvent réduits aux échanges très normés dans le cadre des procédures d'appels d'offre, le dialogue public-privé désigne évidemment beaucoup plus que ça. Tous les jours dans les territoires, les agents comme les cadres et les élus discutent avec des entreprises, qu'elles soient implantées dans leurs territoires ou pas. Le plus souvent malheureusement, il s'agit de répondre à des frustrations et des revendications, rarement de parler développement local et projection dans l'avenir. Pourquoi ? Parce que « l'espace public économique » n'existe pas et que l'entreprise citoyenne balbutie ? Ou bien est-ce l'inverse ? Qui sait ?
Cela paraîtra évident à un développeur économique, beaucoup moins à un responsable du service social et peut-être encore moins au directeur du service des sports : parler aux entreprises, c'est changer de monde. Le temps et les délais de l'entreprise sont plus courts que les temps de l'action publique, d'où qu'elle provienne. Les enjeux de l'entreprise peuvent rapidement prendre des tournures dramatiques en cas de difficulté de trésorerie alors que la décision politique peut se permettre de remettre un vote sensible pour s'assurer d'une majorité plus solide. Les mêmes mots ne recouvrent pas toujours les mêmes réalités : il en va du mot bilan d'opération dans le secteur de l'immobilier par exemple, qui peut selon où l'on se trouve, intégrer ou non les coûts salariaux affectés au projet.
Et pourtant, les acteurs publics n'ont jamais tant voulu susciter et soutenir la création et le développement de l'activité. Les mutations à l'œuvre tant technologiques que managériales et sociales frappent les deux mondes de la même manière. Dans tous les secteurs d'activité, de la plus petite PME au plus grand groupe international, une plus grande porosité entre ces deux mondes, celui de l'action publique (entendue au sens large) et celui du développement de l'activité privée (qui n'est plus forcément ni à but lucratif, ni forcément identifié comme une entreprise au sens « classique » du terme) permettrait de mieux se comprendre, de trouver des solutions d'apaisement en cas de difficultés, et même d'ouvrir un monde incroyable de possibles.
Quels sont les enjeux de cet « espace public économique » pour les acteurs (public et privé) et le territoire ?
« Se comprendre et apaiser les relations »
Les acteurs publics et les entreprises se comprennent mal parce qu'ils ne parlent pas le même langage… quand ils se parlent ! Car souvent ils ne se parlent pas du tout. C'est par exemple le cas de l'implantation de franchises. Dans certains centres-villes, une même enseigne peut s'implanter jusqu'à 3 fois, faire faillite trois fois, sans que personne n'y puisse rien faire. Pourquoi ? Parce qu'un mauvais franchiseur ne forme pas correctement ses candidats, qui oublient trop facilement que le succès d'un commerce peut dépendre d'autres facteurs que la taille de la zone de chalandise et le panier moyen du secteur.
Quand les acteurs publics et les acteurs privés se parlent, c'est aussi souvent autour, ou plutôt à cause d'un problème : voirie, gestion des déchets, éclairage public. Finalement, les entreprises ont des besoins relativement comparables à ceux des citoyens. Mais ils ne se projettent pas dans l'espace public comme des citoyens, ou alors, à dose homéopathique dans le cadre de zones d'activités sur lesquelles des efforts considérables d'animation collective ont été faits. En effet, pour la grande majorité des acteurs privés, l'action publique consiste encore à les entraver. Le service public aux entreprises les renvoie aux systèmes de subventions, à la fois appréciés mais aussi décriés pour leurs lenteurs, lourdeurs et complexités.
« Trouver des solutions communes pour créer, imaginer, et inventer »
La discussion directe entre les acteurs économiques et les acteurs publics permet souvent de s'accorder sur des solutions et de créer cet embryon d'espace public « économique » à l'échelle d'un territoire. Encore faut-il se donner les moyens de créer les lieux de ces échanges. Combien de développeurs se plaignent de solliciter les entreprises pour participer à des réunions… auxquelles ils ne viennent pas ? Pourquoi donc ne viennent-elles pas ? La relation avec l'acteur public est bien souvent caricaturée. Composer une salle de chefs d'entreprises et les questionner sur l'avenir du territoire, cela prend souvent du temps mais cela peut réellement susciter une synergie d'action qui s'inscrit dans une vision à long terme du développement du territoire.
Toutes les entreprises, quels que soient leur taille, leurs ambitions de développement ou leur secteur d'activité, ont à gagner à s'intégrer le mieux possible dans leur environnement local et à déployer des stratégies spécifiques à destination des acteurs publics. Mais elles n'en ont que très peu conscience. Elles réduisent les questions de dialogues avec les acteurs publics à des face à face avec les élus ou les cadres, alors qu'il faudrait qu'elles s'inscrivent dans un espace public commun. L'entreprise citoyenne, c'est l'entreprise qui a compris que son développement, le bien-être de ses employés comme sa réputation dépendent aussi de son insertion dans « un espace public économique ». Qu'il s'agisse de vendre un produit ou une prestation, de la faire connaître ou reconnaître, de trouver un terrain d'expérimentation, d'installer une nouvelle enseigne, de changer d'implantation ou de solutionner un problème en cas de crise, toutes les entreprises peuvent comprendre l'intérêt de s'inscrire dans cet espace public économique… pour cela il faut évidemment qu'il existe, et de fait, il faut qu'elles le comprennent et que ces espaces se développent. C'est tout l'enjeu des rencontres et études de focus group thématiques.
[02/12/2018]