Déléguée générale de l'association Réalités du dialogue social, Maud Stéphan décrypte le volet « dialogue social » du projet de loi de transformation de la fonction publique.
1) Le projet de loi de transformation de la fonction publique adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 28 mai 2019 consacre son premier titre à une refonte du dialogue social. Quelles évolutions notables constatez-vous pour la fonction publique territoriale ?
L'esprit de la réforme sur son volet dialogue social est de procéder à un rééquilibrage entre la gestion statutaire des agents et les actions destinées au collectif de travail. Le projet de loi affirme ainsi le « rôle stratégique » des comités sociaux territoriaux, issus de la fusion des comités techniques et des CHSCT et modifie le rôle des commissions administratives paritaires (CAP) dont il supprime l'avis préalable sur les mobilités et promotions des agents, limitant leur activité au traitement des recours administratifs*. Ces instances, uniquement consultatives, sont considérées par les employeurs comme des freins à la mobilité et chronophages. Les fédérations de fonctionnaires contestent cette suppression de compétences des CAP car elles craignent un manque de transparence dans la gestion des carrières et des risques de dérives. Elles perdraient aussi, de fait, des points de contacts avec les agents et des occasions de leur fournir un service concret.
Pour autant, le projet de loi leur offre de nouvelles possibilités de dialogue social sur des objets visibles et bénéfiques pour les agents. L'article 33 prévoit notamment que les comités sociaux territoriaux s'emparent des questions d'organisation du travail, de télétravail, du droit à la déconnexion ou encore d'amélioration des conditions de travail, ces deux derniers champs ayant été obtenus grâce à des amendements déposés par les représentants des organisations syndicales (OS).
Dans la phase de mise en œuvre, il sera intéressant d'engager un travail d'évaluation de ces nouveaux dispositifs (comme cela a été engagé pour les ordonnances Travail de 2017 dans le secteur privé) pour observer comment les employeurs publics - élus locaux et DGS – et les représentants syndicaux s'en saisissent et s'ils atteignent les objectifs affichés de soutenir un dialogue social « plus stratégique et efficace » ou s'ils se traduisent par un recul de la protection des agents.
2) Depuis le début de la concertation il y a plus d'un an, les 9 organisations syndicales représentatives dénoncent unanimement le projet de réforme. Quels sont les facteurs de blocage ?
Les difficultés découlent en premier lieu de la méthode. Normalement dans le cadre d'une concertation, les parties se réunissent sur un sujet, à un stade où il n'y a pas de projet pré-élaboré, pour explorer ensemble les réponses possibles à une préoccupation puis rechercher celle qui convient le mieux aux parties. Or, le gouvernement a engagé la réforme avec une feuille de route, un calendrier et une idée relativement précise des résultats attendus. Le processus suivi relève davantage de la consultation, sur des textes déjà élaborés. En second lieu, le contenu même de la réforme est contesté. Les organisations syndicales considèrent que l'instance unique risque de diluer les actions dans des domaines essentiels de la sécurité, de la santé et de la vie au travail, craignent que le remaniement des CAP favorise, comme je l'ai indiqué, une gestion opaque et réclament que le recours accru aux contractuels, qui représentent 19% des effectifs de la fonction publique territoriale, soit encadré. Certaines revendications des OS ont été entendues comme l'instauration d'une prime de précarité sur les CDD, l'obligation d'un bilan sur les politiques RH (mobilité, avancement, valorisation des parcours professionnels) devant le comité social territorial, la possibilité pour les fonctionnaires de se faire assister par un représentant syndical de leur choix dans le cadre des recours administratifs mais ces aménagements n'ont pas suffi à les convaincre pour approuver le projet.
3) Vous soulignez que le projet de loi ne va pas assez loin sur l'amélioration des conditions de dialogue social. Pouvez-vous nous expliquer ?
Si la volonté de renforcer la place de la négociation collective dans la fonction publique est exprimée, la question de la validité juridique des accords reste en suspens. L'article 5 du projet de loi prévoit son traitement par ordonnances dans un délai de 15 mois. Ce report est surprenant dans la mesure où cette absence de sécurisation juridique des accords sur le terrain fragilise les avancées sociales. Si un accord majoritaire est signé dans une collectivité territoriale, il peut être remis en cause du jour au lendemain avec l'arrivée d'un nouvel élu ou d'un DGS.
Par ailleurs, le projet de loi ne traite pas le sujet des moyens du dialogue social. Il s'intéresse à l'architecture des instances qu'il souhaite plus efficientes mais il n'aborde pas la question des temps nécessaires à engager par les deux parties pour parvenir à des productions tangibles du dialogue social : accords et progressions obtenues en conciliant amélioration des services aux citoyens, bonification de l'environnement de travail des agents (qualité de vie au travail, carrière, protection sociale, …) et allocation efficiente de la dépense publique. Or le dialogue social suppose une bonne préparation des acteurs. D'un côté, toutes les fédérations de fonctionnaires intègrent, dans les formations destinées à leurs militants, des contenus concernant le dialogue social. De l'autre, pour ce qui est des encadrants de la fonction publique, ils ne sont ni recrutés, ni évalués en tenant compte de leur aptitude à intégrer le dialogue social dans leur activité et accèdent le plus souvent aux responsabilités sans y avoir été formés.
Certes, depuis l'adoption de la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique, les écoles du Réseau des Écoles de Service Public ont introduit la formation initiale au dialogue social, avec un caractère obligatoire mais sans examen final, et ont développé inégalement la formation continue dans ce domaine. Mais il reste encore du chemin à parcourir pour généraliser cet enseignement et mettre en place des dispositifs d'accompagnement, de partage de pratiques**. Comme en 2010, la réforme en cours affiche des ambitions de renforcement du dialogue social sans en prévoir les moyens.
* La commission des lois au Sénat a adopté le 12 juin un amendement qui prévoit que la compétence des commissions administratives paritaires (CAP) soit réintroduite en matière d'avancement et de promotion pour les trois versants de la fonction publique.
* Pour favoriser les échanges de pratiques, notre association met en place à la demande des partenaires sociaux une Base de données des cas de dialogue social dans la fonction publique. Pour consulter ou partager vos démarches de dialogue social : https://www.bdfonctionpublique.com et rf/ossa/sdr//tairaterces
[24/06/2019]