Dans son ouvrage Résilience climatique et biodiversité (AFNOR, 2019), Michèle Champagne, anciennement chargée d'études en Business Intelligence chez Veolia, aborde la problématique de la résilience selon une approche pluridisciplinaire.


Interview de Michèle Champagne

Votre livre présente des retours d'expérience réalisé auprès de collectivités, entreprises, associations, acteurs académiques, engagés dans une dynamique de transition écologique, au vu des impacts du changement climatique et de la perte de biodiversité.  Autant d'initiatives et de collaborations dans lesquelles se développent des capacités d'innovation pour tendre vers un modèle de société écologique, inclusif et durable. Comment ces différents acteurs construisent-ils une vision partagée de ce nouveau modèle de société ?

Les filières économiques, piliers du développement des territoires, subiront de profondes transformations dans les années à venir avec les risques climatiques (sécheresse, inondations, migrations, épidémies, etc…) sans parler des coûts des dommages induits.  Il en va de même de la perte de biodiversité, diminution de la qualité des sols en nutriments, rareté des ressources, disparition des espèces.   Le changement climatique et la perte de biodiversité ont des impacts sur les équilibres sociaux et économiques des territoires.  Il s'agit d'engager tous les acteurs dans un évolution de leur fonctionnement, de concevoir des politiques et des projets pour rendre les territoires plus réactifs et proactifs en conciliant la diminution des risques, l'anticipation et l'innovation, et ce, aux différentes échelles du territoire (région, métropole, communes, îlots de quartiers...). Cet engagement prend forme, au vu des expériences relatées dans ce livre, par des initiatives qui méritent d'être partagées, pour valoir d'exemples. 

Nous avons relevé trois dynamiques de transition qui participent à renouveler l'action publique pour accompagner cette transition.

 

I - Une démarche partenariale à l'échelle du territoire

Ce partenariat s'inscrit dans les programmes nationaux tels que les Plans Climat Energie, les TEPos (Territoires à énergie positive), les appels à projet en matière d'économie circulaire, de mutualisation des ressources et des services, etc.

La particularité de la démarche de partenariat du Grand Lyon métropole de la région Auvergne-Rhône-Alpes est originale à plus d'un titre.  Structurés autour des fonctions territoriales - habiter, se déplacer, s'alimenter, créer de la valeur, travailler et vivre dignement, protéger et prendre soin, se ressourcer – des partenariats et des conférences rassemblent les acteurs du territoire (entreprises, associations,  communes) sur des actions à mener.  Les résultats sont valorisés à l'échelon européen, et les retombées de ces projets sont évaluées par un processus de reporting partagé entre les acteurs. 

 

II - Un modèle de transition

Trois composantes sont réunies pour une transition énergétique, écologique et inclusive : l'économie circulaire, l'économie de la fonctionnalité (système privilégiant l'usage plutôt que la vente d'un produit ou d'un service) et la permaculture (consiste à mieux gérer les ressources et les espaces publics en impliquant les communautés locales dans la préservation de l'équilibre écologique). 

Créer des filières telles que la bioéconomie, les industries biosourcées, expérimenter de nouveaux modèles d'agriculture comme les fermes urbaines multiservices, produire et distribuer une énergie renouvelable par des coopératives d'énergie citoyenne, concevoir des bâtiments autonomes (autonomie en eau et en énergie, diminution de l'empreinte carbone, mutualisation des usages…), préserver les ressources par le recyclage et la valorisation des produits et déchets, autant d'initiatives lancées dans les régions Hauts-de-France, Auvergne Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est, Ile de France dont l'objectif est d'accompagner les transitions alimentaires, énergétiques et écologiques des territoires.

 

III – Une durabilité écologique et un développement humain

Le modèle de développement durable est renouvelé par le référentiel des 17 objectifs de développement durable (ODD) de l'Onu.  Inspirées des ODD, des collectivités dressent une cartographie des enjeux de leur territoire et les ODD à mettre en œuvre pour impulser une transition :

  1. a) l'ODD 1 pas de pauvreté se traduit par la mise en place d'organismes de micro-crédit ;
  2. b) l'ODD 11 villes et communautés durables et l'ODD 7 énergie à un coût abordable donnent lieu à des indicateurs qui seront suivis pour évaluer les impacts des  projets tels que la  lutte contre la précarité énergétique, le développement d'énergies renouvelables.

Les ODD ainsi identifiés sont reliés à des indicateurs déclinés à différentes échelles du territoire (métropole, commune) et au sein de différents acteurs impliqués (entreprises).  Certains ces indicateurs sont associés à des seuils réglementaires, voire à des critères ESG (environnement, société, gouvernance) des démarches RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Des expériences à l'échelle communale et internationale sont menées.

 

Quel est le point commun de tous ces modèles ?

Nous avons relevé la volonté de revoir notre modèle de développement à la lumière d'une analyse croisée des interactions entre les filières économiques, les modalités d'usages et les équilibres des écosystèmes. Et cela sur trois axes inter-reliés :

1)  l'empreinte de la biodiversité (mesurer et évaluer les impacts des activités  économiques et des modes de vie sur l'état des écosystèmes et de la biodiversité) ;

2) l'inclusif (vers plus d'équités sociale et économique) ;

3) la résilience climatique dans ses dimensions réactive et proactive.

Cette volonté se décuple par le renforcement de l'action au niveau local pour ancrer ces dynamiques au sein des régions et dans une visée européenne.   A titre d'exemple, signalons dans la région Bourgogne-Franche-Comté, le Collège européen de Cluny qui forme des futurs décideurs des collectivités par des approches pluridisciplinaires et comparatives de l'action locale à travers l'Europe, comme les nouvelles technologies, le changement climatique, les phénomènes d'exclusion, l'agriculture durable…

 

Que retenir des retours d'expérience que vous avez réalisés auprès des entreprises, des associations et des acteurs académiques ?

Des entreprises ont poussé l'analyse de leurs impacts sur l'intégralité de la chaîne de valeur en considérant leurs sources d'approvisionnement, l'environnement naturel impacté et les répercussions économiques et sociétales.  Elles disposent  pour ce faire d'une démarche outillée sur l'empreinte de la biodiversité : le GBS (Global Biodiversity Score),  fruit de la CDC Biodiversité (Caisse des Dépôts) et du Business for Positive Biodiversity

Mentionnons que  des  critères ESG (environnement, société et gouvernance) peuvent être couplés aux 17 ODD de l'Onu. Les ODD sont une boussole pour transiter : plus de 1 500 indicateurs sont donnés sur l'ensemble des secteurs d'activité. 

Les associations sont investies dans la transition citoyenne avec des citoyens, des entreprises et des élus, et sont porteurs de sens et de responsabilités. Projets, expertises locales, initiatives, partenariats, dans les énergies solidaires, l'agriculture urbaine, les circuits courts, les incubateurs sociaux, autant de leviers pour rendre la société plus inclusive, dans une dimension locale, nationale et européenne.

Enfin, les écoles de design mériteraient d'être davantage sollicitées par les territoires. Le design est une approche sociologique  alliant les usages et la durabilité environnementale.  Quelques exemples sont donnés sur les villes durables et sur les nouveaux modes alimentaires.  L'expérimentation de l'Ecole de Design au sein du laboratoire Ville durable Design Lab,  associe des acteurs de la société civile et des collectivités territoriales pour initier, développer et tester en situation réelle des services et des produits innovants dans une vision du développement durable et inclusif.

 

Quelle est la place des investisseurs dans la résilience climatique et la biodiversité ?

La finance a un rôle à jouer pour faire face à l'urgence climatique et à la perte de biodiversité.  Deux pratiques sont présentées dans ce livre : la valeur de l'action pour le climat et l'investissement à impact positif. Signalons le développement d'une offre de fonds estampillés ODD pour financer un modèle économique de la transition.

 

Retrouvez l'auteure sur son blog :  http://michelechampagne.over-blog.com

 

[13/02/2020]