Attention aux évolutions contentieuses
Le gouvernement a publié un décret intitulé JADE (pour Justice Administrative de DEmain) le 2 novembre 2016, avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2017.
Les modifications que ce texte implique sont assez importantes pour faire l'objet d'un focus au titre de cette newsletter, dans la mesure où certaines règles contentieuses sont profondément modifiées (1).
Ceci posé les services auront moyen, assez facilement, de prendre avantage des nouvelles dispositions (2).
Une interview donnée par David MOREAU (Secrétaire Général du Conseil d'Etat, en charge des juridictions administratives) à l'AJDA (Actualité Juridique du Droit Administratif) le 7 novembre 2016 (AJDA 2016, page 2068) expose clairement les raisons qui ont conduit à la prise de cet arrêté.
Il y est dit qu'il était nécessaire de rationaliser la justice administrative, car le nombre de dossiers à traiter par les tribunaux augmente, sans que suivent les moyens de la juridiction, et « le nombre de dossiers traités par un magistrat ne peut croître indéfiniment ».
La réponse apportée à cet état de fait par le Gouvernement consiste à rendre plus simple le recours à des ordonnances d'irrecevabilité, à imposer plus largement le recours à un avocat (avec en filigrane l'idée que les requérants sont le plus souvent des administrés, que le défaut de ministère d'avocat conduit souvent à des irrecevabilités), et à imposer la liaison du contentieux.
Concrètement, la réforme implique :
Mais le Gouvernement a également dynamisé la procédure administrative, par quatre axes.
En premier lieu, la cristallisation des moyens, qui permet aux parties de demander aux magistrats d'arrêter une date au-delà de laquelle il ne sera plus possible de soulever de nouveaux moyens.
En deuxième lieu, la sanction du défaut de mémoire récapitulatif, qui permet aux magistrats de rejeter tous les moyens non repris dans un mémoire récapitulatif avant la clôture d'instruction.
En troisième lieu, la gestion des requêtes au fond dont les parties se désintéressent après une audience de référé, qui permet aux magistrats de demander aux parties si elles souhaitent maintenir leur contentieux au fond après une décision de rejet en référé-suspension.
En quatrième et dernier lieu, l'obligation de saisir la juridiction par Télérecours, en lien donc avec l'obligation de constituer un avocat.
Les réformes sont donc importantes et touchent des domaines dont les règes étaient déjà bien établies et de longue date.
Comme souvent, s'agissant d'une réforme d'importance comme celle-ci, il est possible de s'en approprier les bénéfices si l'on anticipe la façon dont les textes modifient les règles.
Ici, la réforme peut être anticipée de manière très simple, seulement en modifiant l'approche contentieuse.
Ainsi qu'il a été dit supra, la réforme facilite le recours aux ordonnances de tri, et réduit les possibilités d'agir au contentieux.
Dans la mesure où c'est le plus souvent l'administration qui est attaquée et donc, doit défendre, on peut en conclure que cette réforme sert largement ses intérêts, pour peu que la démarche suivante soit suivie.
Elle tient en 6 questions, réparties en deux groupes de questions, à se poser durant deux étapes du contentieux.
Première étape : Avant les débats
1ère question : La requête est-elle présentée par un avocat ?
2ème question : Le contentieux a-t-il été lié (saisine préalable des services, avant l'envoi de la requête) ?
3ème question : Est-il impossible de soulever une irrecevabilité manifeste de la requête (défaut de moyens, acte attaqué non joint, prescription manifeste, etc.) ?
Si la réponse à l'une de ces questions au moins est négative, il faut (1) attendre l'expiration du délai octroyé au requérant pour régulariser (deux mois en général) et (2) produire une demande de rejet de la requête par ordonnance de tri.
Cela a pour effet de mettre de son côté toutes les chances de voir la requête rejetée avant même l'analyse du fond du dossier.
Première étape : Durant les débats
1ère question : Les moyens doivent-ils être cristallisés ?
→ Si l'on sent que le requérant risque de se montrer « pesant », il faut au plus vite rédiger un mémoire en cristallisation des moyens, afin d'éviter que le contentieux dégénère, et dure trop longtemps.
2ème question : Un mémoire récapitulatif devrait-il être demandé ?
→ Si l'on sent que le requérant risque de présenter des moyens qui partent tous azimuts et/ou se contredisent, il faut demander au magistrat de prendre une ordonnance d'instruction imposant la production d'un mémoire récapitulatif, qui obligera le requérant à préciser sa demande.
3ème question : Le requérant a-t-il perdu son référé-suspension ?
→ Si la réponse est positive, il faut demander au magistrat de solliciter la position du requérant quant au maintien de sa requête au fond, pour faciliter les rejets au fond.
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On voit donc que la réforme est porteuse de nombreuses ouvertures et marges de manœuvre sur le plan contentieux, à condition bien sûr de se préparer à modifier son approche des différends judiciaires, et à rendre systématiques les questions évoquées ci-dessus.
Maxime SENO
Avocat associé, LLC et Associés, Bureau de Paris
Spécialiste en droit public
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[26/12/2016]